La formation subit une transformation profonde sous l’effet de l’intelligence artificielle. Le recours massif à l’IA générative (ChatGPT, DALL·E, etc.), à des systèmes adaptatifs et à l’analyse de données modifie les pratiques pédagogiques. Selon une étude Apolearn (avril 2024), plus de 50% des apprenants ont déjà utilisé l’IA générative et 76% d’entre eux estiment que cela améliore leur efficacité d’apprentissage. Ce bouleversement technologique répond aux besoins de personnalisation et de flexibilité croissants, mais soulève la question « Quelles IA pour quels usages ? ».
L’objectif de ce dossier est d’analyser le paysage des outils IA dédiés à la formation, en présentant trois grandes familles d’IA, les avantages et limites de l’IA, puis en dessinant les tendances à venir. Ce tour d’horizon prépare à des approches pratiques pour formateurs et apprenants.
I. Les Trois Grandes Familles d’IA au service de la formation
Le paysage des IA en formation se décline en trois catégories fonctionnelles. Chacune répond à des besoins spécifiques : création de contenus (IA générative), interaction adaptative (IA conversationnelle/adaptative) et exploitation des données pédagogiques (IA analytique/prédictive).
A. IA Générative
L’IA générative désigne les modèles capables de créer automatiquement du contenu (texte, images, audio, vidéo) à partir de simples instructions. Basée sur des réseaux de neurones profonds (transformers, diffusion) et le traitement du langage naturel, cette technologie permet de produire des documents pédagogiques, exercices, quiz ou supports visuels sur demande.
Par exemple, ChatGPT (OpenAI) peut générer en quelques secondes des plans de cours, des explications ou des cas pratiques en reformulant des notions complexes. De même, des générateurs d’images comme DALL·E 3 ou Stable Diffusion créent des illustrations adaptées au thème étudié, et des outils audio comme Murf ou Descript synthétisent des voix pour les voix off.
Un cas d’usage concret est la création de vidéos de formation : Synthesia, plateforme d’« AI vidéo », transforme des scripts en vidéos animées avec avatar et voix synthétique, en plus de 140 langues.
Exemple – Synthesia en formation : Des entreprises repensent leur intégration grâce à ces outils. Criteo a produit 50 vidéos de formation en moins de 6 mois via Synthesia, réduisant drastiquement le temps de production. De même, la société Dixa a généré plus de 75 modules vidéo en un an (trois fois plus vite qu’avant), avec un taux d’achèvement supérieur à 95%.
L’IA générative alimente ainsi le développement de contenus à grande échelle et multilingues
B. IA Conversationnelle et Adaptative
L’IA conversationnelle regroupe les agents dialoguants (chatbots, tuteurs virtuels) capables d’échanger en langage naturel. Grâce au Traitement Automatique du Langage (TAL) et au machine learning, ces systèmes comprennent les questions des apprenants et génèrent des réponses précises. IBM souligne que les chatbots et assistants virtuels offrent « des échanges fluides, personnalisés et de type humain ».
En formation, ils jouent le rôle d’assistant disponible 24/7 : ils répondent aux questions, corrigent les exercices ou guident l’apprenant dans son parcours.
Par exemple, des chatbots pédagogiques (comme le tuteur Khanmigo pour l’anglais de Duolingo) fournissent des explications à la volée ou des remédiations adaptées.L’IA adaptative, souvent étroitement liée à l’IA conversationnelle, ajuste en temps réel le contenu ou la difficulté selon le profil de l’apprenant. Les systèmes de tutorat intelligent suivent les réponses, identifient les erreurs et calibrent le parcours. Le retour sous forme de chat ou de consignes dynamiques rend l’environnement plus interactif. La possibilité de converser avec un chatbot sort l’utilisateur « d’un parcours rigide d’e-learning », lui permettant de poser des questions en direct et de recevoir un suivi personnalisé. Les retours sont analysés en continu pour proposer des conseils ou ressources spécifiques, améliorant l’engagement. En entreprise, ces simulateurs conversationnels (par exemple pour la formation des équipes support) optimisent le tutorat et la motivation.
C. IA d’Analyse de Données et Prédictive
Les outils d’IA analytiques exploitent les données éducatives (tests, interactions, sondages, historiques) pour fournir des tableaux de bord et des prédictions. C’est l’essor du learning analytics. Ils identifient des tendances (difficultés récurrentes, sujets non acquis) et prévoient le risque d’abandon ou de décrochage. Des projets de recherche, conçoivent des modèles d’IA « dédiés, équitables et explicables » visant à anticiper le décrochage scolaire en analysant les données des élèves. Grâce à ces tableaux de bord, l’équipe pédagogique peut détecter précocement les apprenants en difficulté et intervenir.
L’IA prédictive permet aussi d’évaluer l’efficacité globale d’un dispositif : en agrégeant des feedbacks et des notes, elle peut dégager des insights sur la satisfaction et suggérer des améliorations. Certaines plateformes LXP (Learning Experience Platforms) intègrent cette dimension. Par analogie aux recommandations de Netflix, elles utilisent l’IA pour suggérer automatiquement des contenus ou parcours sur-mesure aux apprenants, en fonction de leurs préférences et comportements sur la plateforme. Ainsi, l’analyse de données pédagogiques affine en permanence l’expérience d’apprentissage.
II. Avantages et Limites de l’IA dans la Formation
A. Avantages
L’IA apporte plusieurs bénéfices majeurs en formation :
Personnalisation des parcours : chaque apprenant bénéficie de contenus adaptés à son niveau et à son profil. L’IA ajuste le rythme, le format (visuel, auditif, textuel) et les exercices en temps réel. Par exemple, des algorithmes s’appuient sur les sciences cognitives pour renforcer les points faibles et favoriser la mémorisation.
Accessibilité élargie : la génération automatique de contenus permet de produire des ressources dans plusieurs langues ou formats (transcriptions, audio). Criteo et Antisel ont ainsi pu créer des vidéos d’onboarding personnalisées pour chacun et traduites en 4 langues, répondant aux besoins d’une main-d’œuvre internationale.
Engagement et interactivité : les outils conversationnels et ludiques dynamisent l’apprentissage. Les tuteurs IA et simulations rendent les sessions plus attrayantes. Les cas concrets de Synthesia montrent un engagement renforcé : Dixa a constaté un taux de réussite de plus de 95% pour ses modules vidéo conçus avec IA, suggérant que les apprenants restent motivés jusqu’à la fin des formations.
Efficacité et gains de temps : l’IA automatise la création de supports (textes, questions, visuels), réduisant considérablement la charge de travail des formateurs. Synthesia a permis par exemple de produire des modules vidéo jusqu’à trois fois plus vite qu’avec des méthodes traditionnelles.
Analyse des données : en centralisant les résultats et feedbacks, l’IA facilite le pilotage pédagogique. Les responsables de formation accèdent à des indicateurs précis (temps passé, progrès, points bloquants) et peuvent ajuster les scénarios d’apprentissage. Les recommandations automatiques de plates-formes LXP construisent des parcours sur-mesure en continu. Les décisions sont ainsi appuyées sur des données objectives.
Réduction des coûts à long terme : bien que l’investissement initial en technologie soit élevé, l’automatisation peut réduire les coûts récurrents (moins de formation du personnel nécessaire, modules réutilisables). À terme, les entreprises et organismes peuvent former plus de personnes avec moins de ressources humaines directes.
B. Limites et risques
Malgré ces avantages, l’intégration de l’IA en formation présente des limites :
Qualité des contenus : les résultats de l’IA générative ne sont pas toujours exacts ou pédagogiques. Les modèles peuvent fabriquer des erreurs (hallucinations) ou des réponses génériques, nécessitant une relecture et une adaptation par des experts humains. La dépendance à l’IA soulève donc des questions de fiabilité de l’information.
Dépendance technologique : les plateformes IA exigent une bonne infrastructure (connexion internet, matériel adéquat). Une panne ou une mauvaise configuration peut interrompre les formations. De plus, certains OF ou apprenants peuvent manquer de compétences numériques, créant une fracture d’accès.
Protection des données (RGPD) : l’IA exploitant des données personnelles (résultats, comportements, biométrie) doit respecter les réglementations sur la vie privée. Comme le rappelle la CNIL, « la collecte et l’utilisation de données via un système d’IA doit respecter le RGPD et les droits des personnes ». Il est crucial de garantir la sécurité et l’anonymisation des données éducatives des apprenants.
Rôle du formateur : l’IA ne remplace pas l’humain. Selon Apolearn, le formateur joue un rôle irremplaçable dans la transmission des savoirs et l’accompagnement, une mission que l’IA « ne peut pleinement assumer ». Les enseignants craignent aussi d’être dépossédés de leur autorité ou de leurs tâches. Il s’agit donc d’intégrer l’IA comme support, sans éroder la fonction pédagogique du formateur.
Coûts d’implémentation : développer ou acquérir des solutions IA performantes représente un investissement initial important (licences logicielles, serveurs, formation du personnel). Cette barrière financière peut freiner l’adoption, surtout dans les organisations de taille modeste.
Acceptation sociale : formateurs et apprenants peuvent se montrer sceptiques ou anxieux. Une étude LearnThings indique que 62% des étudiants craignent que l’IA ne remplace les enseignants, et 50% s’inquiètent de la qualité de l’éducation fournie par les systèmes d’IA. Par ailleurs, 30% des étudiants estiment que l’IA pourrait réduire leur capacité à penser de manière critique. L’enjeu est donc d’accompagner les parties prenantes pour développer la confiance et la compétence face aux nouveaux outils.
Paradoxe cognitif : si l’IA devient trop “assistante”, elle peut infantiliser l’apprenant. Celui-ci risque de s’appuyer sur la machine pour obtenir des réponses sans comprendre les concepts. Cela remet en question les méthodes d’évaluation : des apprenants « assistés par l’IA » pourraient réussir un quiz sans avoir réellement assimilé la notion. Les pédagogues appellent à maintenir l’effort cognitif de l’apprenant (prompting, réflexion guidée), afin que l’IA reste un remédiateur et non le canal principal de formation.
III. Tendances et Perspectives d’Avenir
Le futur de l’IA en formation s’oriente vers une synergie homme-machine et de nouvelles technologies immersives :
IA augmentant le formateur : l’IA est envisagée comme un assistant des formateurs, non comme un remplacement. Elle peut automatiser les tâches répétitives (correction de quiz, organisation de parcours) pour laisser plus de temps à l’enseignant humain pour l’accompagnement personnalisé. Les formateurs devront être formés à ces outils ; selon LearnThings, 70% des enseignants souhaitent une formation sur l’utilisation de l’IA en pédagogie. En parallèle, les apprenants doivent acquérir une culture IA (prompting, évaluation critique). De nombreux organismes préparent déjà leurs équipes à ces nouvelles compétences.
Intégration dans les LMS et LXP : les systèmes de gestion de l’apprentissage (LMS) et les plates-formes d’expérience d’apprentissage (LXP) intègrent de plus en plus d’IA. Par exemple, les LMS modernes incorporent des chatbots internes ou des fonctionnalités d’analyse prédictive, tandis que les LXP inspirés du modèle Netflix suggèrent automatiquement des contenus adaptés. Ces plateformes combinent modules traditionnels (LMS) et micro-contenus personnalisés (LXP) pour maximiser la motivation et l’engagement.
IA explicable et émotionnelle : la recherche se tourne vers des IA « explicables » (XAI) afin de rendre les recommandations transparentes et de renforcer la confiance. De même, l’IA émotionnelle (reconnaissance des sentiments ou de l’attention) se développe. Des algorithmes capables de détecter la frustration ou l’ennui de l’apprenant via la webcam ou la vitesse de réponse pourront adapter le contenu en conséquence, créant un apprentissage plus empathique.
Blockchain et certification : à venir, la combinaison de la blockchain avec l’IA pour sécuriser la délivrance de certificats pourrait émerger. Des diplômes numériques vérifiables, garantis par des chaînes de blocs, garantiraient la traçabilité et l’authenticité des compétences acquises via des modules IA.
Ethique et gouvernance : l’éthique prend de l’importance. Comme le rappelle l’UNESCO, l’IA en éducation doit suivre une approche humaniste, promouvoir l’équité et réduire les inégalités plutôt que de les creuser. Les décideurs et institutions intègrent de plus en plus des chartes éthiques (vie privée, transparence, non-discrimination) dans les projets IA éducatifs.
Impact sur le marché du travail : les tendances macro-économiques rejaillissent sur la formation. Le Forum Économique Mondial prévoit que l’IA et l’automatisation pourraient remplacer 85 millions d’emplois dans le monde d’ici 2026, compensés par 97 millions de nouveaux rôles liés aux technologies. Les formations devront donc préparer aux métiers émergents (IA, data science, maintenance robotique) et aux compétences « à l’épreuve de l’IA » (esprit critique, empathie, créativité).
Conclusion
L’IA révolutionne la formation en offrant personnalisation, engagement et efficacité tout en posant des défis de fiabilité, de coût et d’éthique. L’avenir de la formation sera hybride : l’IA comme outil d’augmentation – pour adapter les parcours et automatiser des tâches – et l’humain au centre – pour guider, motiver et apporter la dimension critique et émotionnelle.
Parmi les recommandations, il convient d’adopter une approche progressive : tester des pilotes IA, former les formateurs à ces technologies et éduquer les apprenants à les utiliser de manière responsable. L’objectif est d’autonomiser l’apprenant (capacité de s’appuyer sur les outils IA avec discernement) et de libérer le formateur vers des activités à forte valeur ajoutée (conseil, facilitation).
À terme, c’est l’humain qui déterminera la réussite de ces innovations : l’IA ne doit pas remplacer le formateur, mais lui fournir de nouveaux leviers pour accompagner les apprenants vers le succès.